À lire à l’heure
« Dans près de trente ans, lorsque les avocats raconteront cette histoire au procès pour meurtre du fils – à l’époque, pas encore né – de Bessie et d’Alcide, ils transposeront ce qui se passe ensuite au milieu de la nuit noire, comme si c’était inimaginable en pleine clarté diurne. Mais en 1964, il est 2 heures de l’après-midi, et Alcide transpire au soleil. Il n’y a pas de climatisation, et l’air qui s’engouffre par les vitres baissées semble sortir d’un four. Sous le pare-brise, la chaleur du soleil doit s’accumuler et cogner sur Alcide. Les enfants ont besoin de manger ; les enfants ont besoin de s’habiller ; les enfants ont besoin. Il ne peut pas donner aux enfants ce dont ils ont besoin. Peut-être à présent la sueur lui pique-t-elle les yeux – il lève une main pour s’éponger le visage, et ce geste – ce geste d’une seconde, où sa main frotte ses yeux, où ses yeux ne sont pas sur la route et où sa main n’est pas sur le volant –, peut-être cet instant suffit-il à tout faire basculer. Lors du procès, les avocats se demanderont si Alcide avait bu. A-t-il une flasque cachée sous son siège, une flasque pleine d’alcool qui le force à coincer le volant entre ses jambes pour pouvoir l’avaler, ce qui rend supportables toutes ces longues heures passées à renoncer – à conduire sa famille tout droit vers le renoncement ? Pour certains actes, il faut se donner du cœur au ventre. Mais alors qu’il s’apprête à tout perdre, ou presque, il me faut trouver un moyen plus charitable de raconter cette histoire. Alcide transpire dans la chaleur. »
L’ empreinte d’Alexandria Marzano-Lesnevich