À lire à l’heure
« Ce matin-là, je me rappelle, je l’ai testé, le magnéto. Puis plus capable de dicter quoi que ce soit. Aussi essayé la machine. Tapé n’importe quoi d’abord, voir si elle imprimait. Tapé des phrases ensuite, voir si ça sonnait bien. Un désastre. Je me masquais vite fait. J’aimais pas du tout ce que je fais. Je me promenais lugubre dans la baraque, le chapeau sur la tête, un petit cigare au coin de la gueule, à me regarder dans toutes les glaces, voir si j’ai une tête d’écrivain. Conclusions très imprécises. Avec bada, je ferais peut-être pas mal au dos d’un polard. Le crépuscule des ringards, par Henri Butron. Ou bien pas de bada, pas de photo sur le bouquin, quelques-unes seulement dans la presse, si j’ai un prix ou du piston. Le bretzel moisit à 5 heures, d’Henri Butron, une œuvre forte, un talent original, à lire à la plage. Je serais pas capable, j’ai peur.
Je suis ressorti, voir chez le libraire. J’ai acheté ce qui se vendait bien, pas bien-n’importe comment, bien-régulièrement, bien d’une façon soutenue. Sagan, Troyat, et des intellectuels, Jules Roy, Claude Simon, le Maréchal Juin ; je suis pas sûr que l’homme m’a pas refilé n’importe quoi, prétendant gros tirage. Quand on lit les best-sellers, ils ont l’air bien faciles à écrire. J’essaie donc, j’essaie encore, je n’arrive qu’à des pastiches de quatre ou cinq lignes, et même pas ressemblants.
Je stoppe. Ce n’est que le premier jour. Je ne suis pas découragé. J’ai bien raison. Je réfléchis. »
L’affaire N’Gustro de Jean-Patrick Manchette