
L’action se déroule au XVIIe siècle. Anna Thalberg, 22 ans, est mariée au paysan Klaus, tous deux demeurant en Bavière
Celle que l’Église catholique accuse d’être une sorcière, celle qu’on chasse comme sorcière vit à Einsingen. En allemand, le nom de la ville a pour homonyme le verbe einsingen, « chauffer la voix ». Justement, l’auteur donne de la voix, prête une voix pleine de fièvre à cette période infâme, pleine de flammes et d’injustice.
Une sorcière ?
Oui, on le dit. À cause d’elle, la grêle, la sécheresse…
On l’a vu voler à dos de chèvre.
Et puis elle est rousse.
L’arbitraire règne dans ces années vingt du XVIIe siècle, dans ces procès des sorcières de Würzburg. On ne finit pas au poste, mais dans une tour puis au bûcher.
On parle souvent de chasse aux sorcières par abus de langage. Souvent dans les milieux de droite d’ailleurs. Si la chasse que subirent les communistes ou sympathisants durant le maccarthysme fut réelle et dévastatrice (voir, par exemple l’ouvrage que j’ai fait paraître chez Actes Sud, Chaplin : Non à la délation ou à propos du maccarthysme), au XVIIe siècle, la chasse aux sorcières était injuste, implacable, toujours mortelle.
Pour un lecteur sensible au sujet, Anna Thalberg, et ce nom dans le titre, peut faire penser au roman historique de Maryse Condé, Moi, Tituba, sorcière (que j’ai présenté dans mon Tour du monde en romans).
Le texte est découpé en chapitres, mais pas en phrases ou du moins aucun point ne vient les clore, sauf à la fin du chapitre. La mise en page repose sur des retours à la ligne, des alinéas qui indiquent des changements de point de vue, des paroles rapportées directement.
On pense à la possibilité d’une adaptation théâtrale.
Pas de point. On peut parler d’un long souffle qui commence après que la porte d’Anna et Klaus a été arrachée de ses gonds à coups de pied. Enlevée, séquestrée, un village muet devant le mari qui ne se résout pas à l’absence de sa femme. Muet ou qui bruit dans son dos.
Il y a cette tour. Sans jour et sans nuit. Très haute pour séparer du commun des mortels et dissimuler les cris. On entre dans cette tour par la force de la religion, aucune force n’en fait ressortir. Anna est prisonnière et condamnée. Le lecteur connaît cette fatalité. Souricière à sorcière, bien obligée de partager son repas avec les souris.
Des animaux, il y en a beaucoup dans ce récit. La campagne allemande. Un bestiaire qui fait un contrepoint à une bestialité immonde. Par exemple, la perversité féroce de cet homme nommé Vogel, examinateur en chef, oiseau de malheur, noir charognard des basses œuvres de cette chasse aux sorcières. Et quand on traite le mari d’Anna de « vil animal », c’est presque un compliment qui le retranche d’une humanité crasse, sordide.
Du souffle, il en faut pour accompagner Anna, tenir sous une capuche, sur la table des tortures, sous la pression religieuse et celle d’un peuple avide d’exemples, de solutions miracles à une vie difficile.
Le livre est court comme le souffle quand on reprend conscience de la trame de ce drame historique. La fin offre sinon de quoi respirer du moins un léger twist et un peu de pluie pour tempérer les flammes du noir dessein de l’Église.
Anna Thalberg du mexicain Eduardo Sangarcía, traduit de l’espagnol par Marianne Million, La Peuplade, Montréal, 2023