
Alors que sort, aux éditions Complicités, un livre sur les sourcils, il pense à Jack Nicholson.
On est en 2013. C’est une interview de Leonardo di Caprio. L’acteur passe à la télé japonaise et il est en pleine promotion du Django Unchained de Tarantino. Voilà qu’à la demande de l’animatrice qui a l’air fan, Di Caprio se lance dans une imitation de Jack Nicholson, son partenaire des Infiltrés de Martin Scorsese.
L’imitation ne dure que quelques secondes. Elle est muette. Tout est dans la physionomie. Il arque les sourcils et son visage se fend d’un sourire carnassier. Éclats de rires et d’admiration. Le succès sur le plateau est immédiat. Depuis, la vidéo postée sur youtube a fait le tour du monde. La métamorphose de Di Caprio a pignon sur Net.
Le Jack Dawson de Titanic fait très bien le Jack Nicholson de Shining, de Chinatown, etc.
Souvent imité, jamais égalé ?
Lors de cette imitation improvisée à la télé, Nicholson n’est pas imité par n’importe quel acteur. Il est imité par un comédien qui l’admire et qui emprunte ses traces.
C’est le Di Caprio d’après Titanic. C’est celui qui va jouer le rôle de Gatsby, une adaptation du roman de F.S. Fitzgerald signée Baz Luhrmann. Ce personnage littéraire qu’à son grand regret Nicholson justement ne put jamais incarner.
Di Caprio c’est un autre Loup. Pas celui que l’on dit bien charnel (et poilu) chez Mike Nichols, ce Wolf inspiré du roman de ce vieux grizzly de Jim Harrison. Non, ce loup que jouera Di Caprio, c’est celui de Martin Scorsese : The Wolf of Wall Street.
Le jeune loup a grandi. Leonardo est devenu à son tour chef de file. Il a 39 ans lorsqu’il imite Nicholson.
Aujourd’hui, Nicholson, même retraité, demeure une figure du cinéma international. Un Phare. Un Monument.
Il a ses épigones. Héros d’Hollywood en devenir rêvant de mettre leurs pas dans ceux de Jack sur le Walk of Fame à Hollywood.
Nicholson, le natif de Neptune, New-Jersey, on le dirait bien protéiforme. De quoi rappeler Protée, la divinité marine capable d’être tour à tour lion, serpent, panthère, sanglier, eau ou arbre. Justement, en 1965, avant Easy Rider, Nicholson ne créa-t-il pas une société nommée Proteus Films ?
Parmi les épigones, il y a donc Leonardo Di Caprio. On pense ensuite à son aîné, Jim Carrey. Jim Carrey aux mille tours, aux mille visages. Un visage incroyablement élastique. Sur un plateau télé, il s’offrit ce plaisir d’imiter Nicholson dans une scène fameuse du Batman de Tim Burton. La scène, lourde de menace, où le Joker lit à haute voix le gros titre du journal « « A Winged freak terrorizes »? Wait till they get a load of me! ». Tout en lisant, il baisse le journal lentement, laissant apparaitre ses cheveux puis son visage qui s’éclaire d’un sinistre éclat de rire.
Sur le Net, la ressemblance entre les deux acteurs est utilisée dans des vidéos utilisant le procédé de deepfake, d’hypertrucage. C’est une technique de synthèse d’images hallucinante de réalisme. On trouve d’éblouissants pastiches de Shining. Jim Carrey y joue, comme par magie, le rôle de Nicholson. L’artiste numérique réalise un tour de force à la hauteur des imitations de Jim Carrey. Cela fonctionne d’autant mieux qu’il existe déjà pour les spectateurs une parenté physique entre les deux acteurs. Et récemment, l’imitation est passée un cran plus haut, puisque le doubleur français de Carrey a prêté sa voix au trucage.
Parmi ses épigones, on pense ensuite à son successeur dans le rôle du Joker, Joaquin Phénix. Un comédien qui a déjà réussi une performance inouïe. Celle de laisser penser que plus de vingt après l’incarnation de Nicholson il pourrait exister un comédien pouvant faire jeu égal avec sa prestation dans la version de Tim Burton des aventures du héros de Dc comics.
Enfin, on n’oublie pas Sean Penn qui l’a fait fait tourner dans deux films, Crossing Guard (1995) et The Pledge (2001). Dans le premier, le cinéaste fait jouer Nicholson et sa propre mère, Eileen Ryan. Lors d’une scène, Eileen Ryan ne parvient pas à retirer une bague de sa main. C’est Nicholson qui lui ôte après avoir pris son doigt, l’avoir mis dans sa bouche et humecté de sa salive. Une histoire d’anneau entre la mère et l’idole du réalisateur qui oscille entre clin d’œil et psychanalyse.
D’aucuns voient encore l’influence de Nicholson dans le jeu de Tom Cruise, tant par ses jeux de physionomie, ses regards soutenus que par ses lents mouvements de tête.
« Bien lourde est la couronne. » dit, par la voix de Nicholson, Frank Costello dans Les Infiltrés de Scorcese.
En 1994, l’acteur reçoit le Life Achievement Award. Mais comme un acteur achève bien sa carrière comme il veut et quand il veut, il tournera encore plusieurs films après cette récompense.
Une soixantaine de films au total où figure son nom dans un générique. A priori la liste ne devrait plus évoluer. L’acteur a fait du chemin depuis 1958 et son rôle de Jimmy Wallace dans The Cry Baby Killer de Jus Addiss.
Oui, les épigones ont donc encore du pain sur la planche pour rivaliser avec la filmographie du maître. Pensez donc, il a été nommé aux Oscars sur cinq décennies de suite.
Nicholson ne joue plus. Il est un peu reclus. À la Brando, à la Garbo. Invisible, en dehors de quelques bains de public le temps d’un match de basket, de NBA avec les Lakers. Ses films sont eux bien visibles. La télé, les dvds, les streamings, les torrents et puis Netflix. Tous les chemins mènent à Nicholson.
Nicholson est une figure connue de la jeune génération. S’ils n’ont vu aucun de ses films, ils peuvent le connaître par des mèmes, des gifs. Par exemple, cette animation tirée de Shining où il hurle « Here’s Johnny ! » en ouvrant la porte à la hache.
Le numérique avec ses pastiches et ses parodies assure la notoriété de Nicholson. Un capital sympathie, aussi.
Le temps du confinement et du reconfinement produit son lot de détournements. Ainsi, Jack Torrance, rebaptisé pour l’occasion Francis, se dispute avec sa femme à cause des contraintes du confinement et des attestations qu’il doit, son imprimante étant cassée, taper et retaper sur une machine à écrire. Ou bien, c’est cette photo représentant les Torrance rappelant, pour se rassurer, que cette petite famille est restée confinée pendant plusieurs mois et que tout s’est très bien passé…
Qu’adviendra-t-il de l’œuvre de Nicholson dans les années à venir ? L’acteur, né en 1937, est le produit de son époque, du fonctionnement social des années qu’il a traversées sur une moto, en costard, le sourire aux lèvres. Parfois comme un perdant, un perdu, à la marge.
Il appartient à notre patrimoine cinématographique. À travers ses rôles, il a déjà beaucoup à dire sur notre société, notre histoire, notre inconscient. Une société qui a évolué depuis les années 60 durant lesquelles il débuta. En 1974, il disait à un journaliste : « J’étais féministe bien avant que les droits des femmes ne deviennent un sujet à la mode. ». Les monstres qu’il incarna était une façon de dire la monstruosité de l’époque.
Les spectateurs sont allés voir et iront voir un film avec Nicholson. Un critique français, Luc Moullet a développé une théorie séduisante selon laquelle certaines vedettes peuvent être considérées comme les auteurs des films dans lesquels elles ne font que jouer. Leur manière d’être, d’évoluer dans leurs films imposerait une manière de filmer aux réalisateurs. Il prend comme exemple Gary Cooper, John Wayne, Cary Grant et James Stewart.
À cette liste on pourrait ajouter Nicholson.
Nicholson, à lui seul bien des personnages. Le George Hanson d’Easy Rider, le « Billy « Bad Ass » Buddusky » de La Dernière Corvée, le Jake Gittes de Chinatown, le Jack Torrance de Shining, le Charley Partanna de L’Honneur des Prizzis, le Daryl Van Horne des Sorcières d’Eastwick, le Joker de Batman, le Freddy Gale de Crossing Guard.
Un portrait avec ses éclats, ses fêlures. De ces fêlures qui laissent passer la lumière sur le rêve américain, dont Nicholson a exploré la chair et les marges.
Nicholson a pour lui l’éternité.
À la fin de Shining, le spectateur est fixé par le regard de glace de Jack Torrance, joué par un Nicholson Jockerisé avant l’heure. À ce plan succède une photographie dans laquelle on reconnaît le même Torrance, souriant, comme s’il avait été un contemporain des années folles de Gatsby le Magnifique.
Nicholson a pour lui l’éternité.
Bonjour , 🙂
… À sa devise :
« Plus de bons moments !! »
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