
C’est une chanson brûlot de Julos.
Beaucarne, c’est son nom de famille. Un chanteur belge (et rebellge) de la famille des indignés, des poètes engagés. Le temps de quelques chansons. Il faut savoir être économe.
En 1975, il sort l’album Chandeleur Septante Cinq.
Au hasard des plages et de ses textes, on croise Verlaine, Saint-Exupéry et Eluard. Beaucarne est aussi un chanteur de poètes, il sait ce qu’il doit à ceux qu’il a lus. Il est un passeur.
C’est aussi un homme parfois désenchanté. Franchise musicale. Le temps de la plage 12. « Lettre à Kissinger ». Une chanson écrite en 1973, peu après le coup d’État au Chili.
« Lettre à Kissinger » Le titre est clair, dans la tradition des Je-vous-fais-une-lettre-que-vous-lirez-peut-être à la Boris Vian. C’est donc sous la forme d’une lettre qu’il s’adresse à Henry Kissinger. Conseiller politique de Nixon, diplomate, responsable des affaires étrangères américaines et de leurs basses œuvres au Chili (longtemps contestées, depuis avérées).
En Kissinger Beaucarne voit moins L’Être que le Néant (né en 1923). En 2023, Kissinger aura peut-être 100 ans alors que Beaucarne nous a quittés l’an dernier. Bientôt 100 ans et plus que le temps de lire cette lettre.
Bientôt 100 ans. Comme quoi, être prix de Nobel de la Paix en 1973, après la guerre du Vietnam et juste après la chute d’Allende, événements auxquels il a pris sa part, ça conserve. Kissinger et ses quatre-vingt-dix-neuf ans nous font un sacré pied de nez (et de sinistres grimaces). Comme le chantait Dominique A, il ne faut pas souhaiter la mort des gens, ça les fait vivre plus longtemps. Beaucoup ont dû la lui souhaiter, alors.
100 ans. On pourra, pour des raisons compréhensibles, préférer les 95 ans de Mandela. Mandela et ses geôles épuisantes et se combats éreintants. Flirter avec la mort, ça conserve un peu moins. En revanche, l’organiser, la penser, la superviser, ça conserve bien.
Merci à Julos Beaucarne. Ce belge et même rebellge. Venceremos ! Chili con Beaucarne.
Son hommage à Jara est poignant. Victor Jara, on le qualifierait bien de chanteurauchili comme dans la chanson, tant il fait corps avec ce pays. Le chanteur et guitariste, membre du Parti communiste, demeure le symbole de cette Unité populaire qui porta au pouvoir le socialiste Salvador Allende. Un texte qui se lit, pardi !, comme une lettre.
J’veux te raconter Kissinger
L’histoire d’un de mes amis
Son nom ne te dira rien
Il était chanteur au Chili
Ça se passait dans un grand stade
On avait amené une table
Mon ami qui s’appelait Jara
Fut amené tout près de là
On lui fit mettre la main gauche
Sur la table et un officier
D’un seul coup avec une hache
Les doigts de la gauche a tranché
D’un autre coup il sectionna
Les doigts de la dextre et Jara
Tomba tout son sang giclait
6000 prisonniers criaient
L’officier déposa la hache
Il s’appelait p’t’être Kissinger
Il piétina Victor Jara
Chante, dit-il, tu es moins fier
Levant les mains vides des doigts
Qui pinçaient hier la guitare
Jara se releva doucement
Faisant plaisir au commandant
Il entonna l’hymne de l’U
De l’unité populaire
Repris par les 6000 voix
Des prisonniers de cet enfer
Une rafale de mitraillette
Abattit alors mon ami
Celui qui a pointé son arme
S’appelait peut-être Kissinger
Cette histoire que j’ai racontée
Kissinger ne se passait pas
En 42 mais hier
En septembre septante trois
Même si cette hache qui fit de Jara un cantautor truncado est sans doute apocryphe (dixit sa femme Joan), elle nous parle. Froide, sans humanité. La seule façon de réduire à néant des mains qui dansent. Une hache pour dire l’horreur des mains d’un poète tombées dans les mains de militaires. Des mains tendres, tisseuses de mélodies, dont la générosité se comptait bien au-delà de cinq droits… Soleil cou coupé, dans un vers d’Apollinaire.
Dans des débats très récents, Kissinger a déclaré que nous étions entrés, sur le plan des conflits internationaux, dans une ère complètement nouvelle. En terme de sophistication d’armes notamment. Et pourtant…
Comme entendu récemment à la radio, ce sont de rudimentaires haches que préparaient, dans leur garage, de pauvres Ukrainiens (« Je les attends les Russes, j’ai des pelles, des haches bien aiguisées mais bon, ils nous attaquent depuis le ciel, c’est ça le problème », France culture, 14 mars 2022)
L’Histoire (avec sa grande hache, comme disait Perec) rôde encore. À cette hache, on pourra encore et toujours opposer l’hommage tendre de Beaucarne à Jara. Histoire de miser sur le bon cheval, pas sur la vieille carne.
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Bonjour , 🙂
La esperanza viene del Sur , c’est à lire à l’horizon
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