C’est un OLNI comme il les aime bien : un Objet Littéraire Non Identifié (sous coupe d’herbe, évidemment).
Son sujet n’est pas les petites hommes verts mais la petite zone verte qu’on appelle gazon et qu’on tond sans penser à toute son histoire, à son grand récit herbeux.
On a le loisir de prendre un déjeuner sur l’herbe et de se saisir d’un ouvrage sur le gazon. Mieux : sur les gazons.
Cette œuvre verte sur fond vert mérite bien une monographie. Dès le titre, il nous brûle d’en savoir plus sur ce gazon que les brûlures du soleil effraient tant.
L’herbe courte et drue, 3 à 5 cm, a son histoire.
Le mot « wason » surgit au XIIe siècle et désigne une « motte de terre couverte d’herbe ». Il vient d’un terme juridique utilisé par les Francs. On donnait un domaine foncier à une personne en lui remettant symboliquement une paire de gants et une motte de terre.
Ce gazon, on l’entraperçoit dès les peintures romaines, Pline le jeune parle de coussin de gazon. Son histoire est longue du pré fleuri à l’espace vert d’aujourd’hui. Avec tout le plaisir qu’il procure.
Le Moyen-Âge, c’est le gazon fleuri de La Dame à la Licorne. A la Renaissance Le Discours du songe de Poliphile accorde une grande place à l’herbe courte et fleurie. La paix tangue lorsque Henri VIII se décide à interdire de jouer aux boules en dehors de son propre jardin, Bien avant le « green washing », était le « bowling green ». Deux façons de faire du tort au vert. Le XVIIème siècle, c’est le jardin architecturé à la française. L’herbe coupée ras plaît aussi en Angleterre. Le XVIIIème siècle, c’est la jardin pittoresque anglais. Il se libère des codes architecturaux français. Vous découvrirez ce qu’on appelle le « ha-ha », un fossé pour séparer et associer pelouse d’un parc et campagne sauvage. Révolution de la mécanisation : la tondeuse est inventée au XIXème siècle. Les premières, lourdes, sont encore tirées par des chevaux. Il y aura une tondeuse américaine « Archimède » avec sa vis en spirale.
Et puis viennent les jeux sur gazon : croquet, tennis, golf,… Et le foot ?
Le gazon du XXème est géométrique, comme dans les lotissements américains (et vire presque à l’obsession, jusqu’à vouloir voir de petites zones vertes partout). Il se veut aussi collectif dans de grands espaces verts.
Il y a un chapitre intitulé « La puissance poétique du gazon ». Tout un poème, déjà. Dans cette partie de l’ouvrage, il est question de Maupassant, Rilke, Verlaine, Eluard, Zweig,…
On regrettera juste que la monographie ne s’aventure pas dans la pop-culture, le cinéma et les chansons. On pense à Meurtres dans un jardin anglais, à toutes ces scènes de golf dans les films où une hiérarchie se met souvent en tension, on pense à Chérie j’ai rétréci les gosses ou quand le gazon devient cauchemardesque. On pense à ces génériques de films américains qui déroulent des gazons impeccables de lotissements de banlieue avant que se déclenche l’horreur de profondes nuits. Sans parler de tous les voisins à tondeuses qui donnent envie de voir Massacre à la tronçonneuse.
Un extrait/Une anecdote.
« Une anecdote sur la préciosité de l’herbe, qui a perduré jusqu’à une époque récente. Au début du xixe siècle, les villageois étaient encore enterrés autour de leur église, sous des croix de bois qui occupaient peu de place et disparaissaient rapidement. Les premières dalles funéraires datent des années 1820-1830, mais elles venaient au détriment de l’herbe du cimetière et du revenu que le curé en tirait pour l’élevage d’une chèvre ou d’une vache. Le clergé réclama donc, et obtint, l’équivalent sonnant et trébuchant de la valeur de l’herbe que supprimait toute tombe maçonnée. »
Lire peu ou Proust 