Jump ! ou Le complexe d’Eddie Van Halen

Il y a eu Bush avant lui. Et puis Trump aussi. Des chansons ouvrent un meeting politique sans l’accord des artistes. Reagan, c’était « Born in the Usa » de Springsteen. Trump, c’était « You can’t get always what you want » des Rolling Stones.

Beaucoup d’artistes se méfient des chansons engagées. Alors, quand c’est de l’engagement forcé…
La musique marketing, ça vous tue un artiste.

« Sur les coups de 20h30, dans le gymnase de Miserey-Salines (Doubs), « Jump » d’Eddie Van Halen retentit. » (Le Parisien, 31/10)

Un candidat à la présidentielle vient d’utiliser la chanson «Jump» de Van Halen. Sans doute avait-il l’accord du groupe (ou ce qu’il en reste).

Elle est humaine, l’envie d’être aussi apprécié qu’un air populaire.

En revanche, il faut se méfier des chansons.
Derrière ses claviers et son solo de guitare, une chanson en dit plus que ce que le ver d’oreille ne cesse de nous répéter. Jump !

Tout d’abord, elle sort en 1984. Une année orwellienne s’il en est. Big Brother is watching you toute l’année. Et l’album s’intitule 1984. Sur la pochette, 1984 s’écrit en chiffres romains et l’illustration est iconoclaste : un ange fume deux paquets de cigarettes. C’était bien avant que l’on retire son clope à Jacques Prévert.

La mode était alors aux écrans espions. Les anges avaient des ailes et, depuis, on a eu Pegasus !

C’est justement sur un écran de télé que David Lee Roth, qui est en charge des paroles, trouve l’inspiration. Les paroles lui sont inspirées par un reportage sur un homme menaçant de se jeter du haut d’un immeuble. David Lee Roth s’imagine dans la foule, en bas. Dans ces cas-là, il y a toujours un imbécile pour gueuler : « Allez, saute ! ».

Les paroles vont transformer cette situation réelle, sordide, en un épisode classique de rencontre amoureuse. Love at first jump…euh sight ! Cet homme qui se planque derrière le juke-box osera-t-il parler à la jeune femme qui lui plaît ? (s’appellerait-elle Marianne ?) 

Le saut du haut de l’immeuble est donc devenu métaphorique.

La musique du titre est efficace, reconnaissable, une véritable signature (un parrainage ?). Elle a été écrite par Van Halen et a déjà été soumise au groupe quelques années auparavant. « We don’t need this shit » s’est alors entendu dire l’auteur. La critique esthétique des membres du groupe est radicale.

Et puis la petite musique fera son chemin et s’imposera (elle reviendra au bercail, après qu’on lui a claqué la porte au nez).

Van Halen dit ne plus savoir ce qui l’a inspiré : une rupture sentimentale ou un mauvais hot dog.
En 1984, à la sortie de l’album, on oublie le mauvais hot dog et on associe l’air à une rupture sentimentale créatrice. C’est plus en phase avec les paroles de David Lee Roth.

Le groupe a ses dissensions artistiques. Faut-il plus de clavier ? Plus de guitare ? (et le pouvoir d’achat ? Ça va : « Jump » est un Best and Fast Seller). Le débat n’est pas télévisé et se termine par le départ de David Lee Roth (il reviendra en 2007 ; un partir-revenir qu’on connaît aussi dans les partis politiques).

En 2001, la chanson fait à nouveau parler d’elle. Ou plutôt on ne l’entend plus. Elle est, comme une centaine d’autres, interdite après le 11 septembre. Elle devient malsaine parce qu’elle retrouve son sens propre et l’inspiration première de David Lee Roth : l’homme qui saute d’un immeuble.

Alors pourquoi le choix de ce titre pour porter une campagne présidentielle ?

L’enthousiasme, l’énergie dégagés par l’intronitruante ? Parce que, depuis 1986, la musique accompagne l’entrée dans leur stade des joueurs de l’Olympique de Marseille ? Parce que c’est la sonnerie de portable de beaucoup gens qui vont devenir militants sans le savoir ? Parce que Van Halen s’est tu en 2020 ? Jump ! Parce que comme le dit la formule creuse : « Je vais rebondir sur ce qu’a dit ma/mon collègue » ? Parce que ce candidat aime la choucroute californienne ? Parce qu’il aime la chorégraphie et les regards caméra de Van Halen dans un clip d’anthologie ? Un des clips les plus cabotins de l’histoire de la musique. Jump ! Parce qu’il est plastique, Bertrand ?

À choisir, il valait mieux « Jump » que « Fais comme l’oiseau » (ou Loiseau). Pour la candidate de la majorité présidentielle aux Européennes de 2019, la campagne ressemblait plus à un chemin de croix et à un vol plané.

Faut se méfier des chansons.