A lire à l’heure
« Il détestait petit-déjeuner avec sa mère – café, fruits et céréales –, la regarder lire le Daily News, l’écouter commenter la météo tandis que la radio diffusait les informations en continu de la station WINS. Il détestait l’odeur que sa mère dégageait le matin, celle de la crème Jergens et du bain de bouche Listerine. Il détestait la façon qu’elle avait de se limer négligemment les ongles, de tout faire en même temps : parler, écouter, lire, manger, limer. Il détestait l’horloge que sa mère avait montée sur le mur de la cuisine, une connerie d’horloge Disney qui, toutes les heures, jouait la mélodie d’un des films du studio. À six heures, c’était toujours La Belle et la Bête, et Eugene aurait voulu l’arracher du mur et l’écrabouiller par terre. Il détestait la manière dont sa mère lui tendait son déjeuner, après avoir écrit EUGENE au feutre noir et dessiné des petites fleurs sur le sac comme s’il était encore en CE2. Il détestait sa façon de lui dire au revoir, elle lui tapotait le sommet du crâne et l’embrassait sur la joue et il la laissait faire, comme un gamin attardé – manquait plus qu’elle lui dise : « J’espère que mon petit bonhomme va passer une bonne bonne journée. »
Gravesend de William Boyle