C’est un pavé tragique dans la mare de la justice. Ça tragicle en 1941. Un homme est accusé du meurtre de son père. Œdipe is your love ! Un meurtre sanglant. À coups de serpe. « Toi aussi, mon fils ? » Un meurtre auquel s’ajoutent deux autres. Même tarif. La tante et la domestique…
Le crime eut lieu dans un château. Cette recherche du sang perdu donne des airs de Dracula à cet assoiffé qui frappa ses victimes comme un forcené.
Crime gore dans le Périgord, dans le château familial d’Escoire.
Cet homme, cet infâme, c’est, dit-on, ce parisien, le futur-célèbre auteur du Salaire de la peur (dont l’anagramme est Laideur à la serpe) qui, plus tard à Cannes, troqua la Serpe pour la Palme.
Accusé : Henri-Georges Arnaud.
L’auteur du roman adapté par Henri-Georges Clouzot. Ça Henri-à-Georges déployés.
Lorsqu’Henri-Georges Arnaud est accusé de meurtre, il n’est pas encore célèbre. On est en 1941, cela ne manque pas de gens célèbres entre Vichy et Londres.
Triple homicide et plus de 600 pages plus tard, l’enquête est littérairement close. Il fallait bien ça pour celui qui a passé dix-neuf mois en prison pour finir par sauver sa tête et être acquitté…tout en restant coupable et à jamais changé par ce drame. Une figure noire de la littérature qui doit son sale air à ce jour d’octobre 1941.
Le lecteur s’est fait un avis grâce à un travail fouillé, sourcé, méticuleux. Des livres, des émissions, des lettres, des témoignages, des hypothèses, des règlements de compte, des réseaux, la province, l’Amérique du Sud, Gérard de Villiers, Yvan Audouard, un disjoncteur et un être qui disjoncte, de la limaille sous les ongles, une personnalité provocatrice, un gant, Tristesse de Chopin, un cabinet de toilette, un ténor du barreau, un puits, un foulard, une serpe au manche branlant…
Indigeste ?
Non, parce que l’écriture se ménage des espaces, des bulles. Le style de l’auteur emprunte le pas aérien de Jacques Le Fataliste. Le livre – et c’est sa grande force – est truffé de digressions.
Quand le pesant volet judiciaire met des fourmis dans les lignes, les digressions se mettent à fourmiller. La persévérance du lecteur est encouragée par ces petits coups de serpe, ces parenthèses en chantier. Il y a des pauses, il y a des rires (le passage dans le restaurant chinois !) pour survivre dans la touffeur judiciaire et macabre. L’auteur parle de son œuvre judicieusement judiciaire (Sulak, La Petite Femelle), de ses personnages dont il donne des nouvelles, de lui, de son fils, de l’écriture, de l’édition, …
Littérature du réel. Cette exploration judiciaire n’a rien d’une expo ratée. Elle convainc, elle tient en haleine. L’auteur élucide un crime ténébreux qu’un manque de lumière fit endosser à Henri-Georges Arnaud (à qui l’acquittement fit une belle jambe). Et le coupable est…
Je le met sur ma liste à lire pour « Henri-à-Georges déployés » et aussi pour le suspense du restaurant chinois
Et aussi parce que j’ai un bon souvenir des digressions dans « le chameau sauvage «
🙂
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